La lutte des classes, c’est beau comme une école qui brûle!


Nous inaugurons une nouvelle rubrique aujourd’hui: la rubrique “Critique”. Et on commence tout de suite avec l’école…

En regardant tous les programmes de la campagne présidentielle, on observe un consensus sur l’école. Les partis de gauche (PS, Modem, Europe écologie) et le FN veulent plus de moyens, plus de postes, pour une école en mesure d’assumer pleinement ses missions. Nous ne nous étonnons pas de voir les partis bourgeois défendre cette institution. Mais dans les partis dits d’extrême gauche, cette idée est aussi présente, voire fondamentale. Même dans des organisations prétendues communiste révolutionnaire, communiste libertaire ou anarchiste, la défense de l’école (en tant qu’institution) est présentée comme une lutte à mener dans l’intérêt du prolétariat. Nous allons donc présenter notre position sur ce «faux ami» qu’est l’école. 

 

Bref Historique

On ne peut pas remettre en question l’éducation aujourd’hui en France, sans parler de ses débuts, du moins du début de l’école républicaine pour tous ou presque. Avant, nous étions des sauvages qui ne savaient ni lire ni écrire et que l’Etat s’est mis, par charité (suite au siècle des lumières), à vouloir nous instruire pour notre plus grand bonheur. Et un grand merci à ce gentil Jules Ferry. Bon ça c’est la version qu’on apprend à l’école. La réalité est bien différente :

 

Création de l’école et lutte des classes 

 La généralisation de l’école commence au début du 19ième  siècle, avec les lois Guizot de 1833 et Falloux de 1850. Durant cette période, les intérêts de la bourgeoisie étaient de former la main d’œuvre qui bossera plus tard dans leurs usines.

La fin du 18ième  et le début du 19ième  fut une période de lutte intense entre la  bourgeoisie et le prolétariat nouvellement formés, avec notamment la tentative révolutionnaire de la Commune de Paris. Même si le processus était déjà engagé, les révoltes populaires rendirent plus pressante la nécessité pour la bourgeoisie de renforcer son contrôle sur le prolétariat par l’école. La preuve par les mots de Jules Ferry, idole de l’école républicaine :

« Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. […] Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes totalement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871. »

 (Discours de Jules Ferry au Conseil général des Vosges en 1879.)

 

Nationalisme 

Par ailleurs, suite à la déculottée militaire de 1870 la bourgeoisie française, prépare la guerre de 1914-1918. Pour se faire, les bourgeois développent  le sentiment national et républicain du peuple qui sera amené à se battre (notamment par l’utilisation du français au détriment des langues régionales). De même, l’idée de revanche, pour récupérer l’Alsace et la Lorraine, devait être insufflée dans l’esprit des prolétaires et des paysans. Et à qui a-t-on confié la tâche ? A l’école bien sûr.

Rôles de l’école

Reproduction des classes sociales 

Ça peut paraître évident pour certains, mais c’est toujours bon de le rappeler : l’école reproduit les classes sociales. En effet, quand on y entre enfant d’ouvrier,  y a peu de chance d’intégrer les grandes écoles qui fabriquent nos dirigeants. Sûr que y’en a toujours qui passent au travers, mais si on regarde des statistiques, on se rend vite compte que les chances sont très minces (les inégalités face au langage par exemple, sont un exemple de handicap en milieu scolaire).

Pour masquer la reproduction de classe, les profs (et malheureusement les parents souvent) ressortent toujours la même rengaine : si tu te casses le cul à l’école tu t’en sortiras ! Ce qui suppose que nous sommes tous égaux à l’entrée de l’école et que c’est pour des raisons individuelles (personnalité, aptitude, ténacité…)   qu’on s’en sort bien ou pas.

 

Confusion de classe

L’école se veut l’institution citoyenne par excellence, celle qui crée les bons citoyens républicains de demain. L’école nous fait oublier qu’il y a le prolétariat et la bourgeoisie, en nous faisant croire que nous sommes tous des citoyens. Cette confusion ne sert que la bourgeoisie.

Les partis politique de gauche, voire d’extrême gauche, prétendent que l’éducation nationale est au service du peuple et que ce sont les gouvernements de droite qui la pervertissent. En défendant cette institution, ces partis soutiennent directement les intérêts de la bourgeoisie.

Formation de main d’œuvre

En effet, voir l’école juste comme le lieu de transmission du savoir et de l’acquisition/développement de l’esprit critique est une erreur. C’est nier le rôle économique de formation de la main d’œuvre.  Les savoirs dispensés seront différents  d’une filière à l’autre selon la nécessité économique de leur futur emploi.  Avec l’essor du travail ouvrier (industriel) au cours du 19ième siècle, la bourgeoisie a eu besoin d’apprendre aux prolétaires à lire, à écrire et à compter. Depuis la situation économique de la France a évolué. Le développement du secteur tertiaire et du travail avec des machines de plus en plus complexes, les a obligés à élever le niveau minimum de l’enseignement. Ce qui explique la forte progression des filières générales dans les pays « développés ». C’est une des raisons qui explique au Pakistan ou en Indonésie par exemple, le taux élevé d’analphabétisme, vu que le travail est essentiellement concentré sur des métiers peu qualifié (textile, agriculture…). Il n’y a donc pas nécessité pour la bourgeoisie d’augmenter le niveau de qualification de ses futurs ouvriers que sont les écoliers issus du prolétariat.

Quelle que soit la filière suivie, la première leçon de l’école est la discipline.

Dés la maternelle l’obéissance et le respect de la hiérarchie sont au cœur de l’enseignement : on lève la main avant de parler,  on ne coupe pas la parole au prof (qui lui ne se gêne pas), on se met en rang… Pourquoi cet apprentissage ? L’argument souvent avancé est que la discipline est essentielle pour bien apprendre. Elle est surtout nécessaire pour le fonctionnement d’une société capitaliste : la soumission au patron est la suite logique de cette soumission au prof.

 

Reproduction des genres

L’école c’est aussi le lieu où les genres sont reproduits. Les inégalités de genre se cumulent avec les inégalités de classe.

L’école est un des lieux de socialisation pour les enfants. De nombreuses recherches ont montré que la socialisation scolaire contribue à la transmission des stéréotypes de sexe : en groupe masculin dominant et groupe féminin dominé.

D’une part, les jeux proposés aux jeunes enfants à l’école maternelle reproduisent cette division sexuelle. Cette division répond à la division sexuée du travail et à la division de classes. D’autre part, les enseignants n’ont pas les mêmes conduites ni les mêmes attentes envers les filles et les garçons.

Un des rôles de l’école est de reproduire les inégalités et de transmettre les savoirs dominants. Ainsi de nombreux auteurs et savoirs ne sont pas transmis, et particulièrement lorsqu’il s’agit de l’histoire des femmes, de leurs luttes… 

 

Risque contrôlé de formation du prolétariat

L’école peut aussi apprendre aux gens à réfléchir par eux même ou avoir du sens critique etc…, mais si nous nous en servons aujourd’hui pour justement critiquer cette éducation et ses inégalités intrinsèques, ce n’est pas « grâce » à cette école républicaine, égalitaire etc… Le risque que prend la bourgeoisie de former le prolétariat est un risque calculé. Certains finiront en effet par utiliser une partie de ce que l’école leur a appris pour la critiquer (un peu comme le service militaire qui peu se retourner contre l’état et la bourgeoisie). Mais ce risque reste minime, comparé au bénéfice pour la bourgeoisie de former idéologiquement, politiquement et économiquement la population.

Quand des écoles brûlaient en 2005 pendant les révoltes de certains quartiers populaires, de l’extrême gauche à l’extrême droite, presque tous pleuraient de voir ces « temples du savoir » disparaître dans les flammes. Pas nous. Outre le fait qu’on n’est pas persuadé que le savoir pousse dans les temples, si on commence à gémir à chaque fois que la lutte des classes prend une forme un peu énervée, on n’a pas fini. Nous ne pensons pas que maintenir ou réformer l’école soit dans notre intérêt: l’école fait partie problème, pas de la solution. Sinon, ça fait longtemps qu’on l’aurait interdite…

5 comments

  1. Je suis une jeune enseignante et bien sur je me pose des milliards de questions sur le rôle de l’école, de son bienfait, de son objectif…
    La critique que vous faites a des points faibles mais comporte aussi il faut l’avouer quelques vérités.
    Cependant vous n’allez pas au bout de votre démarche, une critique sert souvent à emettre une proposition, une alternative.
    Je suis vraiment curieuse de savoir ce que vous proposez :
    plus d’école, une école non contrôlée par l’Etat ou encore plus improbable un retour en arrière sans éducation, sans richesse et sans lois !

  2. Cet article est consternant! Bourré de généralités et clichés risibles.

    L’auteur aurait dû avant tout aller voir ce qu’il se passe dans les écoles, collèges, lycées et rencontrer des enseignants avant de raconter de telles âneries!

    C’est a croire selon vos dires que les enseignants sont tous les marionnettes sans cervelles controlées par une pseudo force capitaliste qui à pour objectif de controler la population des la maternelle. Ridicule!

    Chaque enseignant a son libre arbitre, ses méthodes, son point de vue politique, pédagogique et sa manière de transmettre un savoir. Alors oui evidement il y a des profs cons, obtus, reac, de droite, de gauche, des extrèmes, mais il y en a aussi qui sont ouverts à la discution, critiques vis à vis de la société, intéressants et qui font au mieux pour servir l’interet des élèves dans leur diversité.

    Nationalisme : “l’utilisation du français au détriment des langues régionales” FAUX
    Possibilité de présenter au baccalauréat le basque, catalan, breton, langue d’oc, corse, tahitien, créole, langue régionale d’Alsace et Moselle.

    Reproduction des classes sociales : “les profs ressortent toujours la même rengaine : si tu te casses le cul à l’école tu t’en sortiras.”
    FAUX

    Je vous met au défi de trouver un enseignant qui tiendra ce discours. Bien sûr que ce n’est pas qu’en travaillant à l’école que l’on s’en sortira! Qu’est ce que vous croyez que les profs ont une baguette magique! Evidement que si l’on vient d’une classe sociale defavorisée il sera difficile de finir cadre dans une grande entreprise. Vous pensez que les profs sont abrutis au point de ne pas accepter cette réalité! Par contre je préfère que l’on donne des moyens à ces élèves en difficultés pour les aider à s’en sortir plutôt que de leur dire “laisse tomber t’es né dans un milieu défavorisé tu y restera.
    Mais vous proposez quoi au fait? La critique est aisée…

    Confusion de classe : ” L’école nous fait oublier qu’il y a le prolétariat et la bourgeoisie, en nous faisant croire que nous sommes tous des citoyens. Cette confusion ne sert que la bourgeoisie.”

    Là merci, j’ai bien rigolé! Vous délirez complètement et le pire c’est que vous annoncez des vérités sans aucun argument! Allo? Faut arreter le délire paranoïaque!

    Je ne me considère ni bourgois ni prolétaire (Mais pour vous les profs sont bourgois ou prolétaires?) mais effectivement citoyen avec des défauts et des qualités et j’essaie d’enseigner au mieux ma matière sans arrière pensé de reproduction des classes si ce n’est justement une ouverture d’esprit sur ce sujet.

    Reproduction des genres : “De nombreuses recherches ont montré que la socialisation scolaire contribue à la transmission des stéréotypes de sexe : en groupe masculin dominant et groupe féminin dominé.”

    OK mais on pourrait avoir la référence de ces recherches sinon c’est trop facile…

    “D’une part, les jeux proposés aux jeunes enfants à l’école maternelle reproduisent cette division sexuelle. Cette division répond à la division sexuée du travail et à la division de classes. D’autre part, les enseignants n’ont pas les mêmes conduites ni les mêmes attentes envers les filles et les garçons.”
    FAUX!!!

    Toujours des vérités sans aucun arguments ni preuves! Mais allez voir dans les classes justement si ça se passe comme ça en majorité!

    Chez la plupart des enseignants les élèves sont regroupés mais en fonction de leur compétences et pas de leur sexe!

    Risque contrôlé de formation du prolétariat : “Quand des écoles brûlaient en 2005 pendant les révoltes de certains quartiers populaires, de l’extrême gauche à l’extrême droite, presque tous pleuraient de voir ces « temples du savoir » disparaître dans les flammes. Pas nous”

    Vous vous rejouissiez? Allez pas de blague, la c’est de la provoc de bas étages. J’y crois pas une seconde ou alors vous en tenez une sacrée couche…

    J’attends vos propositions…

    J’arrête faut que j’aille voir mes élèves et leur dire que de toute façon l’école leur sert à rien, on les manipules, ils ont aucune chance, autant prendre tout de suite les armes et aller affronter les méchants…

    La bise les gars!

    1. Manu,

      comme tu peux t’en douter, on a malheureusement dû passer une bonne partie de notre jeunesse dans ces écoles, collèges et lycées que t’affectionnent tant. Pour ce qui est des rencontres avec des professeurs, les dernières fois, il fallait qu’on lève l’index, pour toi on lèverait plutôt le majeur. Mais ça ne nous empêche pas de te répondre point par point et de facon argumentée:

      – “C’est à croire selon vos dires que les enseignants sont tous les marionnettes sans cervelles controlées par une pseudo force capitaliste qui à pour objectif de controler la population des la maternelle.”
      – nous n’avons jamais prétendu que “les enseignants sont tous les marionnettes sans cervelles”, bien au contraire. De là à dire qu’ils ont tous un sens critique de ce qu’ils font et conscience de leurs contradictions nous ne pensons pas non plus.
      – Tu parles de “pseudo force capitaliste”. Quand on se prend des coups dans la gueule dans les manifs, des punitions a l’école pour avoir parlé, pris 6 mois de prison pour avoir volé, vu des gars se balader en carrera devant des clodos etc… nous avons bien l’impression de ressentir autre chose qu’une pseudo force dans notre gueule.

      – “Chaque enseignant a son libre arbitre, ses méthodes, son point de vue politique, pédagogique et sa manière de transmettre un savoir”
      – Il me semble que les profs sont soumis à des programmes qu’eux meme ne décident pas, et ceux qui ne les respectent pas sont “punis”.

      – bon là on va juste remplacer “prof” par “policier” dans ce que tu racontes (ps: c’est un exercice que j’ai appris en cours):
      – “Alors oui evidemment il y a des “policiers” cons, obtus, réac, de droite, de gauche, des extrêmes, mais il y en a aussi “des policiers” qui sont ouverts à la discussion, critiques vis à vis de la société, intéressants et qui font au mieux pour servir l’intérêt des “gens” dans leur diversité”.

      – Bon pour les langues régionales alors là, c’est juste un ramassis de conneries. Le retour des langues régionales étant très récent et pour certaines, le fait de luttes encore a l’heure actuelle (va voir en bretagne, en corse ou au pays basque…). Autre bien sûr, que leur utilisation pour les vacanciers qui trouvent ça “sympa” (sûrement ton genre…).

      – reproduction des classes sociales:
      -demande donc à tes collegues de SES de te prêter un bouquin de Bourdieu, il explique mieux que nous et dans les détails en quoi consiste cette reproduction de classe.
      -quand tu dis:”je préfère que l’on donne des moyens à ces élèves en difficultés pour les aider à s’en sortir”, tu parles sûrement de leur verser une partie de ton salaire, c’est vraiment trop gentil de ta part.
      – pour ce qui est de ce que nous proposons réfère toi donc à la réponse que nous faisons du commentaire du dessus.

      – tu dis ensuite que nous énonçons des vérités (le fait qu’il y ait distinctement la bourgeoisie et le prolétariat). Nous te remercions de reconnaître la véracité de nos propos.

      – tu dis plus loin :”Je ne me considère ni bourgeois ni prolétaire (Mais pour vous les profs sont bourgeois ou prolétaires?) mais effectivement citoyen avec des défauts et des qualités et j’essaie d’enseigner au mieux ma matière sans arrière pensé de reproduction des classes si ce n’est justement une ouverture d’esprit sur ce sujet.”
      – là tu es justement en train d’expliquer dans quel camp tu es: celui de la bourgeoisie et de sa citoyenneté avec laquelle on se torche le cul (ne m’excuse surtout pas l’expression).
      – Si tu ne comprends pas ces concepts de prolétariat et de bourgeoisie, tu devrait faire un tour sur le reste du site, notamment les notions.

      – tu dis après : “Chez la plupart des enseignants les élèves sont regroupés mais en fonction de leur compétences et pas de leur sexe!”. C’est ça, du coup pourquoi ya des proportions différentes de filles/garcons dans les filières pro (secretariat/mécanique) et générales (Bac S/ Littéraire)? sûrement à cause (ou grâce?) à leurs compétences différentes?

      Quand il y aura la révolution, elle sera aussi culturelle. J’éspère que d’ici là tu auras compris l’intérêt que nous avons tous à ce changement. Sinon il se peut que certains de tes élèves qui aurait la bonne intention de te rééduquer, te fasse laver leurs chiottes. Pour info je ne suis pas maoiste mais bon on peut quand même leurs reconnaitre cette expérience là comme interréssante, à défaut peut être d’être efficace (je suis pas sûr qu’ils les ont biens lavées).

      Gros Bisous Manu

  3. Au hasard d’une lecture d’un article, je tombe sur votre post.
    Je me rappelle que Marx voulait que son système de pensée constitue une « science historique », eh bien apparemment, c’est raté. Votre post ne s’appuie que sur des déclamations, et — pire que tout — c’est toujours la théorie qui détermine la réalité. Vous préférez poser votre discours simpliste et manichéen sur des réalités complexes plutôt que de regarder ce qui existe maintenant. Vous n’observez rien, vous assenez. Du coup, ça n’a aucun intérêt, parce que tout ce que vous dites est tellement général que ça en devient flou, improuvable.
    Vous êtes allé à l’école dans votre jeunesse : j’en suis fort aise. Mais ce n’est pas parce que vous en avez (peut-être ?) un mauvais souvenir qu’il faut ériger votre cas personnel en théorie et en vérité générale. Vous me faites penser à ces parents d’élèves qui apprennent à leurs enfants à détester l’École parce qu’eux-mêmes l’ont détestée. C’est une belle transmission, n’est-ce pas.
    Est-ce que ça doit vous empêcher de regarder ce qui se passe, réellement, dans LES écoles, plutôt que de parler d’UNE École fantasmée, mythologique, qui respire plus la IIIe République que la Ve ? On dirait que vous n’êtes pas allé à l’École depuis Jules Ferry ! (Et qui d’ailleurs, à part vous, parle encore de Jules Ferry comme penseur important de l’École ?) Et puis si vous n’aimez pas mettre la main dans le cambouis et préférez rester dans votre tour d’ivoire théorique plutôt que d’aller voir de vos propres yeux ce qui se fait, ce qui se dit, ce qui se pense au sein de l’École, je sais pas moi, lisez au moins les programmes officiels du Ministère !
    Vous jouirez un petit peu, sans doute, à gratter leur surface comme on gratte la croûte d’une plaie, à détecter de l’Idéologie (= discours de ceux qui ne pensent pas comme vous), et puis après vous montrerez vos découvertes à vos amis. Et vous serez assuré dans votre propre système de pensée. Et tout ira bien, tout sera dans l’ordre : vous serez rassuré. C’est déjà ça, n’est-ce pas ? À défaut d’un désir de vérité !
    Vous en appelez à révolutionner la culture, l’École et tout le bazar. Soit. Mais vous parlez déjà comme si vous étiez les nouveaux chiens de garde de la Révolution. Vous ne voulez la révolution que pour installer un nouvel ordre, dont vous seriez le maître. Soit. C’est votre petit fantasme. Mais il ne regarde que vous.
    Vous ne parlez jamais des enfants, c’est marrant. Vous n’y voyez que des « fils de… », des « filles de… ». Bourgeois/prolétaires : la messe est dite. Vous parlez de l’École comme un curé parle du mariage et du sexe : sans rien y connaître. On ne dirait que vous n’appréhendez ces réalités complexes et humaines des enfants que par votre petit prisme idéologique. Leur vie, et ce qu’ils sont vraiment, concrètement, dans la réalité de leurs heures passées à l’École : ça ne vous intéresse pas. Dans une classe, les élèves ne sont pas comme dans ton petit cerveau : des enfants essaient de trouver leur place. Ils sont pris en tension entre plusieurs pôles : leurs camarades, l’enseignant, la structure, la société et eux-mêmes.
    Vous vous croyez clairvoyant mais vous êtes aveuglé par une théorie qui ne parvient pas à décrire et comprendre la complexité de la réalité. Alors oui, réjouissez-vous que des écoles brûlent. Allons-y gaiement : cela justifie votre théorie. Et qu’allez-vous reconstruire sur les cendres ? Est-ce que vous feriez mieux que l’École, vous, avec votre petite pensée, votre petit délire ?
    Et — bien sûr —, ça va mal dans le système scolaire français. Bien sûr que des enfants sont laissés sur le carreau. Et c’est pour de multiples raisons : la structure même de l’École, les enseignants, les données sociales, politiques, le cours de l’Histoire, les idéologies dominantes de la société, le milieu familial, l’enfant lui-même. Le problème c’est que l’École est de moins en moins adaptée aux enfants, à ce que signifie être un enfant aujourd’hui. L’École est vieille, elle pourrit sur place, oui, mais elle n’est pas l’outil de la bourgeoisie : c’est complètement con de penser comme ça. Ça ne sert à rien, en plus. Vous refusez la complexité de la réalité, qui elle seule permet de comprendre les choses. Vous ne cherchez d’ailleurs pas à comprendre comment ça fonctionne, l’École : vous savez juste qu’elle vous débecte et que vous aimeriez bien la changer.
    Si vous aviez un peu réfléchi et lu, vous sauriez que le modèle de l’École français n’est pas simplement étatique et bourgeois comme vous le dites, mais également religieux. La structure de l’École (bâtiments, organisation du temps, déroulement des cours) a énormément emprunté au fonctionnement des monastères médiévaux. Est-ce que vous aurez la bêtise de confondre les intérêts historiques de l’Église et de la Bourgeoisie ?
    Votre manque de culture « bourgeoise » vous fait aussi passer à côté d’un autre fait : lever l’index en cours n’est pas historiquement une demande d’autorisation de la parole, mais bien au contraire le signe d’un savoir. Sur les manuscrits médiévaux, on voit souvent des représentations de maîtres ou de sages levant l’index, pour indiquer qu’ils sont en train de transmettre un savoir… à des élèves qui ne lèvent pas le doigt. Index, en latin, signifie« qui montre, qui indique ». Quand un élève lève le doigt, c’est donc qu’il sait, tout autant que le maître.
    Comment pourriez-vous instaurer une révolution ? : votre pensée, votre discours n’ont rien de révolutionnaire. En revanche, vous auriez fait un très bon penseur sous la IIIe République : un bon agitateur anarchiste au teint pâle, avec une grosse moustache rousse. Vous vous seriez appelé Jules Fauconnier, et Adolphe Thiers froncerait les sourcils chaque fois qu’il entendrait votre nom. Vous fréquenteriez un petit estaminet à Montmartre, et vous carbureriez au vin rouge épais qu’on y servirait : il ne serait pas très bon (il vous donnerait des crampes au ventre), mais il vous tiendrait chaud et vous pourriez en offrir aux camarades avec qui vous auriez de longues discussions passionnées. Un jour, on vous retrouverait mort dans votre lit, d’un cancer du duodenum. Votre dernière pensée aurait été pour votre maman, qui s’était saignée aux quatre veines pour vous mais que vous auriez déçue par vos choix politiques. Mais vous auriez choisi la révolution plutôt que votre maman, car il fallait penser au sort de l’humanité, n’est-ce pas ? Et puis, faire partager vos idées, vous étiez sûr que c’était intéressant, et important pour les gens. La société allait mal, et il fallait y remédier. Et c’était à vous, et à vos copains, que ça revenait, cette tâche : changer le monde, car le monde allait mal, oui, vous vous le répétiez dans votre dernier délire, alors que personne n’était là pour éponger la sueur qui coulait de votre front blanc.
    Changer le monde ! Ah ! Mais le monde était cadenassé par l’idéologie bourgeoise ! Ils détenaient tout, verrouillaient tout, possédaient tout ! Les belles voitures, les vins les plus fins, les mets les plus délicats. Les plus belles femmes. Et nous, nous n’avions rien. C’était pas juste. Quand vous pensiez à ces salauds de bourgeois, une douleur vive vous contractait le ventre et un pet long et odorant surgissait, seule source de chaleur dans votre misérable chambre sous les toits. Dans la chambre attenante, le commis-voyageur faisait mollement l’amour à une fille. Ses râles de plaisir couvraient les vôtres.
    Et puis vous sentiriez une douleur lancinante monter en vous et paralyser vos muscles. Votre cœur s’emballerait. Un goût inconnu, de cendre et de craie, envahirait votre gorge. C’était la fin, oui, votre fin de petit homme persuadé — et dans un dernier pet, vous auriez rendu l’âme.

    W.O.

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