Le maintien de l’ordre est un moment où l’État exerce une violence sur ses « citoyens » ou plutôt sur ses sujets. Cette violence est très particulière car elle relève de la violence d’État. Celle-ci est présentée comme étant la seule qui est légitime. Elle n’est presque jamais remise en question dans son principe même. Mais qu’est-ce que la violence d’État ?
Il existe une fiction véhiculée par le droit bourgeois qui est celle de l’État de droit : le droit généré par un État doit s’appliquer aux actes des agents de ce même état. Par exemple, si la loi punit le vol, les agents de l’état n’auront pas le droit de voler, de même si la loi dit que toutes les personnes détournant de l’argent doivent être jugées. Selon ce magnifique principe, tous les agents de l’État sont susceptibles de passer au tribunal, y compris le président de la République.
Ce principe ne résiste pas à l’examen des faits. Quelques exemples :
– Les violences aggravées (avec une arme) sont punies par la loi française de 3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende.
Pourtant les forces de police ont le droit de matraquer qui ils veulent avec des tonfas qui sont des armes de catégorie 6. Lorsqu’il y des blessés, bonne chance pour faire appliquer la loi !
– Un enlèvement, rapt ou kidnapping est l’action qui consiste à s’emparer de quelqu’un ou à le détenir, contre sa volonté, généralement par la force. Il est puni de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende.
Pourtant, les forces de police peuvent détenir en garde à vue toute personne paraissant suspecte 48h. Cela peut s’allonger à 96 h en cas de suspicion de terrorisme ou de trafic de stupéfiants.
Avec une décision de justice, cette séquestration peut s’étendre jusqu’à la perpétuité en prison
– le meurtre est défini à l’article 221-1 du code pénal. Il s’agit du « fait de donner volontairement la mort à autrui ». Il est puni de trente ans de réclusion criminelle.
Pourtant, les forces militaires employées par la France (et les autres états) ont le droit de tuer, ce qui est défini très vaguement comme des « combattants ennemis »
Par exemple, le 9 novembre 2002, lors de la répression des manifestations contre l’intervention française à Abidjan en Côte d’Ivoire, les forces françaises ont tiré à balles réelles par hélicoptère et au sol sur les manifestants installés sur les deux ponts de la lagune Ebrié et aux abords de l’hôtel Ivoire. Ces tirs auraient fait, selon une série de sources concordantes, une soixantaine de morts et plus d’un millier de blessés selon RFI (Radio France international).
Les militaires peuvent même remporter des moissons de médailles pour ce type de « bravoure ».
On peut rajouter la police à cette liste : ses membres ont tué plus de 300 personnes dans les quartiers populaires sans qu’aucun policier n’aille en prison, même si la police n’a pas formellement le droit de tuer en toutes circonstances…
Le rappeur Hamé de la Rumeur a subi 8 ans de poursuites judiciaires pour avoir rappelé ce fait dans le texte « Insécurité sous la plume d’un barbare »
Le pouvoir d’État
On l’aura compris, ce qui caractérise le pouvoir de l’État c’est le monopole « légitime » et « légal » de la violence sur ses citoyens ou plutôt sur ses sujets, c’est-à-dire le « droit » d’user de violence lorsqu’il le juge bon. Inutile de dire que celui-ci ne peut qu’être arbitraire malgré les soi-disant gardes fous (police des polices, etc).
Cette exception, ce droit à la violence sur les corps des sujets de l’État est justifié très largement par les textes juridiques, par les hommes politiques, les médias, les intellectuels défenseurs de l’ordre établi…
L’argument massue est la préservation de l’ordre public.
L’ordre public est un terme qui ne veut rien dire. Ce qu’il veut réellement dire c’est l’ordre établi ou encore l’ordre social, c’est-à-dire notre société de classe bâtie sur l’exploitation : l’ordre public à préserver, c’est le capitalisme.
A l’heure où les plans d’austérité s’accélèrent en Europe, où la contestation massive gagne l’Espagne et qu’au nom d’un choc de compétitivité et de l’austérité, des mesures du même types que celles décrites dans notre panorama vont être prises en France, il faut garder cela à l’esprit.
Pour reprendre le philosophe Tereshenko : la violence d’État, les bavures, ce n’est pas « bad apples in a good basket, good apples in a rotten basket » *. Cela veut tout simplement dire que la répression, la violence disproportionnée et gratuite, les blessures parfois graves, les morts suite à des « bavures », les privations de liberté en garde à vue ou en prison, ne sont pas des abus ou des dérapages d’un pouvoir devenu fou comme on peut le croire. Au contraire, cette violence est au cœur du pouvoir de l’État. Elle permet de préserver l’ordre public, ou plutôt l’ordre social.
* “pas des mauvaises pommes dans un bon panier, mais des bonnes pommes dans un mauvais panier.”