Élans protestataires et maintien de l’ordre en Espagne

Face à un bouillonnement populaire et à une population qui voit chaque jour l’insuffisance des solidarités héritées du mouvement « indignados », l’Etat ne chôme pas. C’est que la « relance » ne va pas donner à bouffer à tous ces pauvres qui ont toujours moins de thunes. Elle ne va pas loger tous ces gens qui voient les grues détruire des logements vides.

Alors, depuis la dernière grande journée de grève (14 novembre 2012), des outils de maintien de l’ordre sans précédent ont été mis en place.

Armement légal…

La loi citoyenne de sécurité (loi Fernandez), passée il y a quelques mois, est sans doute la plus criminalisante d’Europe. Le prétexte ? Les manifestations « Rodea el Parlamento » qui ont un peu plus dégénéré que d’habitude. On a même parlé de techniques « basques » dans les médias.

–        Les « menaces ou insultes envers un policier », ou le fait de « disposer des éléments qui empêchent la libre circulation des véhicules et des personnes » sont passibles d’amendes de 30 000€. Atteindre à leur honneur coûte moins cher : c’est seulement 10 000€ le « ACAB » (All Cops are Bastards) sur un mur.

–        L’occupation d’une banque, action fréquente des syndicats oppositionnels 1 est passible de 3 à 6 mois de prison.

–        Pour les manifestations « sans préavis, devant des institutions de l’état, comme le Congrès, le Sénat ou les hauts tribunaux » : 30 000 €, et jusqu’à un an de prison si c’est près d’un bâtiment d’Etat ; un appel à manifester sur twitter ou facebook pour une manif non déposée : pareil. Autant le dire, les politicards espagnols sentent leur scalp un peu trop convoité par des hordes de chômeurs vindicatifs : en témoignent les interdictions qui accompagnent les « escraches ». Les « escraches », c’est la nouvelle limite de la non-violence manifestante : elle consiste à faire des rassemblements devant les domiciles des élus. Forcément, c’est souvent à deux doigts de dégénérer,

Bref, on ne va pas tous les faire, vous les avez ici 2. Evidemment tout ça ne sera pas systématiquement appliqué, mais donne à la flicaille un grand bol d’air législatif. Merci qui ?

Justice payante ou expéditive

Avec la loi Fernandez (qui pourrait cependant être jugée inconstitutionnelle), un autre volet de la répression se profile : celui de la taxe judiciaire 3. Les

mesures annoncées plus haut sont des épouvantails, chargées de rappeler au manifestant ce qu’il risque en faisant appel au tribunal. Car c’est là la grande nouvelle, désormais il y aura mieux que la comparution immédiate « made in France » : l’Espagne met en place les « peines administratives ». Ces peines seraient appliquées sans même passer par une cour et permettraient par exemple, de sanctionner d’une peine ferme ou de 30 000€ le manifestant refusant de décliner son identité, ou ayant filmé un policier en train de casser du prolo 4. Même les fachos de Reporters sans Frontières, où le nouveau maire FN de Béziers à fait ses premières armes, ont fait par de leur indignation 5.

Si, vous souhaitez porter l’affaire en justice, il faudra payer la « taxe judiciaire ». Cette taxe existe déjà dans presque tous les pays du monde certes, mais rien à voir avec la version espagnole 2.0. Ainsi, récuser une amende de moins de 100€ coûtera 200€ de frais de justice 6. Comble de l’ironie, si vous vous faites virer de manière abusive, il faudra payer 500€ d’office pour le contester (1200€ en dernière instance). Et bien entendu, cette réforme touche en particulier les femmes qui devront débourser une blinde pour porter plaintes contre des violences domestiques ou pour un divorce. Mais nous en parlerons plus largement bientôt (promis).

Tout le monde y aura droit et au même tarif, riches ou pauvres, selon le vieil adage démocrate de « l’égalité des droits ». Une nouvelle preuve, si c’était nécessaire, que la démocratie, c’est encore et toujours la guerre contre les prolos. Tous, sauf les victimes du « terrorisme » : en majorité des familles de politicards ou de flics. Dans un pays où ces derniers n’hésitent pas à relier à ETA les rassemblements de blocage du parlement ou encore d’ « ennemi » quand les étudiants valenciens se mobilisent 7, l’expression « justice à charge » prend tout son sens. Le mot de terrorisme est appelé à réunir toutes les formes de mobilisation contre le patronat et son Etat.

Armement au sens propre

Les carences de la police en termes de maintien de l’ordre, on vous en a déjà parlé ici (Le maintien de l’ordre en Espagne). Nos voisins de répression ont bien compris que le tonfa et le goût du policier ibérique pour la course à pied en armure légère, ne valait pas grand-chose dans l’actualité.

Aussi, le budget espagnol anti-émeute passe-t-il cette année de 173 000 à 3,26 millions d’€. Et on parle de 10 millions pour 2016.

L’armement s’adapte à ces périodes où les affamés de vaches maigres crient « mort aux vaches ». Pare-balles, lacrymos (qui comme en Grèce restaient peu utilisés jusqu’alors), balles en caoutchouc…

L’occasion aussi de tester des canons sonores et fusils lasers de cécité temporaire, des armes à micro-ondes… Nos maîtres sortent le paquet, ça sent la frousse chez leurs cerbères.

Les autorités ont pris comme prétexte à ce nouvel armement, que le précédent était trop potentiellement létal. C’est que, comme on vous l’a expliqué dans l’article sur le maintien de l’ordre en Espagne, les stratégies de maintien de l’ordre espagnoles étaient assez sommaires : elles reposent beaucoup sur le contact direct. En temps normal, ça peut le faire, mais ça deviens compliquer lorsque l’on passe aux choses sérieuses. Il faut reconnaître que les méthodes françaises, qui consistent en une militarisation de la répression faisant de la manif un champ de bataille servant à scinder la manif entre « fauteurs de troubles » ou « casseurs » (ceux qui restent, malgré les premiers coups de pression) et « citoyen » (reste de la manif mis à l’écart des troubles), ont fait leurs preuves (Le maintien de l’ordre à la française).

Le problème, c’est que la police ne renonce pas du tout à un armement « létal » là où il le faut. Simplement, se préparant à plus d’affrontement, elle essaie d’éviter des assassinats qui pourraient embraser la population.

Ainsi, à Ceuta, enclave africaine de l’Etat espagnol, pas besoin de mettre des gants. Au contraire, l’Espagne est une des principales entrées d’Europe pour les migrants, donc pas d’hésitation à tirer à balles en caoutchouc sur des migrants, provoquant la mort d’11 d’entre eux 8.

On l’aura compris, dans un contexte violent de chômage et de lois rétrogrades sur l’avortement, devant l’inévitable affrontement qui les opposera à un prolétariat toujours plus dans la merde, patrons et Etat donnent carte blanche à la flicaille. Il fallait bien ça, alors que le rassemblement du 22 mars a été un des plus importants de l’histoire du pays, et qu’il ne s’est pas fait sans heurts. On parle d’une centaine de blessés :

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