Quelques éléments sur la situation en Ukraine

Les affrontements impérialistes entre pro-russes et pro-ukrainiens soutenus par les occidentaux qui se déroulent dans l’Est de l’Ukraine ont accaparé l’attention médiatique. Nous allons revenir sur les éléments de fond de la crise…

Quelques mots sur l’histoire de l’Ukraine

L’histoire ukrainienne est mêlée en grande partie à l’histoire de la Russie, surtout depuis l’URSS. L’Ukraine était un des principaux fournisseurs de matières premières : minerais, acier, céréales… et un gros secteur industriel.

Sous Staline, les ukrainiens ont morflé, notamment durant une grave période de famine causée par les autorités russes. Du coup, pendant la Seconde Guerre Mondiale les troupes de la Wehrmacht et les SS sont pas mal soutenues localement, notamment par l’armée de Stepan Bandera. Environ 220.000 Ukrainiens s’engagent avec les forces allemandes. Mais cela ne concerne pas tout le pays, et de l’autre côté dans le nord-est et dans le sud en Crimée beaucoup de mouvements de résistance s’activent contre l’invasion allemande.

À la fin de l’URSS et au début de l’indépendance ukrainienne au début des années 90, la Russie passe un sale quart de siècle pour s’adapter à l’économie de marché; dites-vous que l’Ukraine c’est pire. Elle enchaîne plans d’aide du FMI et libéralisation des anciennes industries d’état.

Au début des années 2000 la phase folle d’un capitalisme à tout va se calme. Comme en Russie, le secteur minier et sidérurgique a enfanté de puissants oligarques qui sponsorisent et gèrent en sous-main la vie politique du pays. Il y a peu de mouvements sociaux car l’unique syndicat ouvrier, hérité de l’URSS, est un syndicat de cogestion avec le patronat, tandis que le parti communiste ukrainien (surtout présent dans le bassin minier de la Dombass à l’est du pays) oscille entre positions défensives et soutien à Ianoukovitch.

Deux (voire trois) impérialismes pour se partager un pays

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L’Union Européenne des exploiteurs !

L’Union Européenne mène une expansion impérialiste dans les anciens pays du bloc de l’est depuis les années 90. Cela passe par une intégration à l’UE pour les pays qui ont fait le plus de réformes néo-libérales en peu de temps et qui ont des secteurs économiquement viables (Pologne,voir notre article ; République-Tchèque voir notre article). Pour les autres pays a été créé un pacte, le « Partenariat Oriental » réunissant l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine, en gros les derniers de la classe.

La liste de ces pays ne trompe pas : l’Ukraine est le « gros bout » de ce projet : sa main d’œuvre est qualifiée, nombreuse et peu chère : ainsi l’institut de l’économie allemande, précise que le coût du travail horaire ukrainien est inférieur à celui de la Chine, et surtout 14 fois inférieur à celui de l’Allemagne ! Le Ministère des affaires étrangères en fait déjà la promotion sur son site. Après avoir externalisé dans des pays comme la République Tchèque et la Pologne, le patronat européen, allemands en tête, a beaucoup d’estime pour ces ukrainiens presque gratuits.

L’impérialisme Russe, USSR dream !

L’impérialisme de la fédération de Russie s’est déjà fait remarquer en Tchétchénie (1997), au Kazakhstan, en Ossétie (2008), et au Daghestan. En général, l’enjeu central est le gaz : cette matière première correspond à 25% du PIB de la Russie, à près du tiers de son budget annuel, et à 75% des ses exportations. Comme tout impérialisme, il est en conflit avec les autres puissances. C’est-à-dire que l’économie russe tourne sur ses matières premières, comme l’Iran, le Venezuela, l’Irak : autant de pays en conflit fréquent avec les pays consommateurs (UE, USA, Japon).

L’autre volet de la politique russe a été de se reconstituer un appui impérialiste fort : l’État. C’est pour cette raison que Poutine mène une guerre depuis plus de quinze ans contre les oligarques du pétrole.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la Russie gère un espace de 17 millions de km², et a récupéré une série de colonies de l’URSS, ainsi que des états « satellisés » par des indépendances sur le papier.

Pour contrer le « partenariat oriental », la Russie a mis en place un accord d’Union Douanière avec des pays pro-russes, Ukraine comprise (Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, et république autonome du Caucase, bref l’ancien bloc de l’est !). Cette union « Eurasiatique » vise aussi renforcer l’hégémonie russe sur ses anciennes colonies d’Asie Centrale face à la montée de l’influence économique et politique de la Chine.

Cette union douanière implique, comme le plan de l’UE, des privatisations. Autant dire que tout ça annonçait de mauvaises nouvelles pour le prolétariat ukrainien : c’est une casse nette des restes de l’État Social Ukrainien, étant le pays avec le droit du travail et les services publics les plus avantageux parmi les futurs pays membre de cette union. C’est d’ailleurs ce qui a mis le feu aux poudres en novembre quand Ianoukovitch a annoncé la ratification de l’accord avec la Russie, en l’échange de 15 milliards. Mais alors que les prolétaires ukrainiens auraient pu être les moteurs d’une protestation large, les fortes suspicions de corruption et d’inféodation de Ianoukovitch à Poutine ont fait naître un mouvement fortement soutenu par l’UE : celui de la place Maïdan.

Alors face à tant de pression, de complexité et autres nuance diplomatique disons-le clairement : il serait délirant de combattre un « Impérialisme » en particulier dans cette affaire. Personne n’est là pour secourir « la démocratie et le peuple Ukrainien », en aucun cas pour défendre les intérêts du prolétariat ukrainien.

Au milieu de ce conflit classique entre impérialismes capitalistes, se trouve l’État ukrainien

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L’Ukraine, un pays morcelé ?

L’Ukraine c’est le plus gros bout de l’impérialisme extérieur russe, on l’a compris. Avec 45 millions d’habitants pour 600.000 km² le pays est le couloir d’Europe centrale et des Balkans pour la Russie, mais c’est aussi une grande part de son grenier à céréale (24% de part de la Russie dans les exportations ukrainiennes alors que l’UE est à 26,6%).

Si l’on se contentait d’une analyse sur les « capacités » du pays, il y aurait de quoi pleurer : on y trouve les terres les plus fertiles du monde, une industrie assez florissante jusque dans les années 80, et un nombre de gazoducs assez délirant. Le pays a deux zones d’activité importantes : le nord-est et la Crimée.
Ces deux régions font partie de l’ « est » russophone de l’Ukraine. Les différences linguistiques ne sont pas énormes, et ne suffisent pas à justifier les tensions de la région. En revanche, l’ « est » est largement plus industrialisé. C’est notamment de ce côté que se trouvent les grandes villes industrielles comme Dniepropetrovsk et la grande réserve de charbon. Les autres activités tournent autour de l’acier et de la transformation des métaux. L’ « ouest », plus rural, est la grande région de culture du blé. Le problème, c’est que l’ « est » est en profond déclin : parmi les dix villes connaissant le plus fortes baisses de population au monde, trois villes ukrainiennes:  Dnipro est la première, Donbass la 3ème, Zaporizhzhy la 4ème. Du coup, le centre politique et économique se déplace petit à petit vers l’ouest, surtout avec l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’UE.

L’instabilité économique et politique

Le pays va de plan d’aide en plan d’aide, depuis la fin de l’URSS, au point qu’en 2002, 47% des Ukrainiens étaient sous le seuil de pauvreté. Le salaire moyen actuel est de 306€ pour un PIB de 2500€ par habitants.

Hors crise, l’Ukraine dépend, comme beaucoup de pays producteurs de matières premières, de l’exportation en quantité et au prix fort de son stock, ainsi que du maintien des salaires à des prix faibles.
Ce faible équilibre ne se fait pas sans mal : lorsque l’économie va bien, les commandes augmentent, la pression sur le prolétariat aussi ; tandis que la bourgeoisie met la pression pour intégrer plus rapidement sa main d’œuvre pas chère en Europe ou en Russie. Cette instabilité explique en partie la fameuse « révolution orange » en 2004.

Quand une crise comme celle de 2008 débarque, avec la récession des grands pays consommateurs qu’elle implique, le marché mondial des matières premières en prend salement dans la gueule. Du coup, la croissance ukrainienne coule (2007 +7,9% ; 2008 +2,1% ; 2009 -15%). Dans ces périodes difficiles, l’Ukraine négocie, autant que possible, des soutiens économiques pour maintenir la paix sociale.

Les plans d’aide ont donc repris depuis 2008, deux « aides » successives du FMI. Un premier de 16 milliards en 2008 est suspendu en 2009 pour non-respect des conditions (ils ont quand même touché 10 des 16 milliards d’aide), et un nouvel accord en 2010 à hauteur de 14,9 milliard soumis aux réformes demandées par le FMI. Le gouvernement s’est toujours débrouillé pour obtenir les aides du FMI en étant soutenu par l’UE et les USA, et cela sans jamais appliquer tout ce qui était demandé (relèvement du prix du gaz subventionné, baisse des pensions et salaires des fonctionnaires déjà très bas).

Des arrangements ont été faits aussi avec la Russie, en particulier des aides sur les prix du gaz, au grand dam de GazProm, la grande boite du gaz russe.

Ces aides, qu’elles soient d’un côté ou de l’autre, ont un prix : une espèce de mainmise sur l’économie ukrainienne du côté de l’UE, et l’engagement à ne pas chercher d’autres moyens de s’alimenter en énergie du côté de la Russie. Du jour au lendemain, en bon chef, Poutine peut faire tomber l’Ukraine par un arrêt des subventions (il l’a fait une semaine en 2008). De l’autre côté, l’UE, Allemagne en tête, veut profiter de cette main d’œuvre pas chère et l’attirer de son côté par des accords de libre marché, et met son aide à la condition du rapprochement de l’Ukraine.

L’État au centre des conflits

Pour maintenir la paix sociale pendant qu’ils délestaient le pays de quelques milliards, Ianoukovitch et consorts ont maintenu les salaires, voire les ont légèrement augmenté dans la fonction publique en s’endettant : le taux de pauvreté est tombé à 12,3% en 2007 avant que la crise ne fasse replonger un peu le pays : il est remonté à 16% en 2009. A cette même date, les dépenses publiques étaient de 47% du PIB, y compris les pensions (18%) et les salaires du secteur public (12%).

Évidemment, le peuple ne récupère que des miettes dans ces négociations : comme d’hab, c’est la bourgeoisie « oligarque » qui s’enrichit en Ukraine sur ces négociations (sinon y’aurait pas 4 millions d’Ukrainiens qui bossent en Europe). Et depuis quelques années, c’est surtout la famille du Premier Ministre sortant, Ianoukovitch, qui s’est empiffrée.

En effet, pour espérer continuer à jouer à « je te tiens, tu me tiens » avec l’UE et la Russie, Ianoukovitch a appliqué une politique « anti-oligarque » propre à celle menée par Poutine au début de son mandat dans les années 2000, ce qui lui a permis d’amasser pas mal de blé pour l’Etat, et surtout pour lui-même.

Avec le départ forcé de Ianoukovitch, médias et dirigeants politiques ont annoncé la faillite de l’état Ukrainien, leur PIB est de 176 Milliard d’euros avec un déficit de 65,8Mds, soit sensiblement le même chiffre que la République Tchèque, pourtant vachement moins peuplée. Une situation pas si catastrophique. Pourtant l’alarmisme à tout va, et la menace d’une faillite du pays imminente vont permettre à d’en venir à l’austérité et à la restructuration.

L’austérité, c’est ce qu’annonce le nouveau gouvernement d’Arseniy Jatseniuk pour les mois voir les années à venir : casse du service public, plans sociaux, etc. Quant à l’intégration de l’Ukraine dans l’UE ou dans la zone Euro, ce n’est pas pour demain.

Nous traiterons la semaine prochaine du mouvement Euromaidan de manière spécifique…

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