Dans cet article, on va faire une petite histoire du maintien de l’ordre en France. En effet, cette méthode de contrôle des foules n’a pas toujours existé. Elle apparait alors que se développe l’état moderne, afin de réprimer de manière plus efficace le mouvement ouvrier…
Tout d’abord, il faut savoir que le maintien de l’ordre est une violence d’état qui est très spécifique pour deux raisons:
La première est son objet. Il ne s’agit pas d’affronter des soldats ennemis, mais la population du pays, réunie en grand nombre dans l’espace public.
La deuxième est la nature de la violence. Le maintien de l’ordre ne vise pas à tuer mais à contraindre, sans dépasser un certain niveau de violence. Cela ne veut pas dire son intervention est non violente, mais qu’au contraire, l’Etat va tenter de cadrer et de délimiter l’ampleur de cette violence, pour qu’elle ne dépasse pas un certain niveau.
La limite à éviter pour la police est la mort d’un manifestant, et la police tentera d’éviter de blesser gravement un manifestant. Cela ne veut pas dire que cela n’arrive pas (comme à Gênes le 20 juillet 2001), mais que ce type de violence ne sera pas non plus recherché. Pour l’instant, la principale exception concerne les tirs de flashball qui occasionnent des blessures graves, notamment des yeux crevés.
De la répression militaire au maintien de l’ordre
Au sortir de l’Ancien Régime, à la fin de XVIII e siècle il n’existait pas de forces chargées spécifiquement du maintien de l’ordre. Par exemple, lors de la Révolution Française, ce sont les troupes militaires (Gardes Suisses et Gardes françaises) qui répriment les foules révolutionnaires, avant de tourner casaque et de prendre parti pour la Révolution.
De même, au cours du XIXe siècle, la gestion des foules est assurée par la troupe. Celle-ci réprime dans le sang diverses révoltes (qui prennent souvent une tournure insurrectionnelle) : les deux révoltes des Canuts lyonnais de juin 1831 et 1834, la répression des ouvriers parisiens en juin 1848 ou encore la Semaine sanglante à la fin de la Commune de Paris de 1871. Cet usage de la force militaire pour réprimer les foules continue sous la IIIème République, qui rappelons-le s’ouvre sur le massacre des communards. Alors que le mouvement ouvrier se développe, la troupe tire à plusieurs reprises sur des grévistes comme lors des massacres de Fourmies ou de Courrières. Il faut dire que la répression militaire ne fait pas dans la dentelle, les manifestants sont traités comme des combattants et non comme des civils.
Si les sommations ne suffisent pas à disperser la foule, la troupe utilise des crosses de fusil et les cavaliers le plat de leur sabre. Si cela ne suffit toujours pas, les militaires ouvrent alors le feu, ce qui ne manque pas d’avoir des effets dévastateurs sur des foules denses.
Néanmoins, au cours du XIXème siècle, la répression militaire de l’action collective connait une très forte perte de légitimité : cela passe de plus en plus mal…
Tout d’abord, ce changement va s’opérer auprès de la troupe, souvent conscrite, qui va refuser de tirer sur des civils issus de leur propre « peuple ». Ainsi en 1882, lors de grèves ouvrières à Monceau les Mines, ouvriers et soldats fraternisent, tout comme à Langres en 1906 ou dans le Midi où en 1907, le 17eme d’infanterie se mutine.
La création du maintien de l’ordre
De même, le commandement de l’armée, le corps des officiers acceptent mal cette mission, bien éloignée de l’idéal combattant des militaires, comme le montrent par exemple les réticences du Général Boulanger devant l’Assemblée nationale en 1886. Cette perte de légitimité de la répression militaire va aussi se retrouver plus largement dans l’opinion publique, qui prend souvent le parti des grévistes, tolérant de moins en moins la violence d’Etat mortelle à l’égard de ses « citoyens ». Si elle est tolérée face à des révolutionnaires qui menacent « les fondements de la société », le public comprend beaucoup moins que l’on tue des grévistes qui se contentent de réclamer l’augmentation de salaires de misère.
L’ensemble de ces facteurs va mener à l’abandon progressif de la répression militaire au profit du « maintien de l’ordre » moderne. Dans un premier temps, les militaires doivent tenter de limiter la mortalité de leurs interventions. Selon Patrick Bruneteaux :
« Le pouvoir politique demande aux forces militaires de se contenir davantage et de trouver des moyens moins destructeurs : balles à tir réduit, suppression des lances de dragon, recours à la poussée des chevaux, frappe avec le plat du sabre. Les soldats pouvaient disperser mais en faisant preuve jusqu’aux dernières limites du sang froid ».
Dans un deuxième temps, le maintien de l’ordre, en voie de démilitarisation, est confié à des corps spécifiques. Ainsi, en 1921, sont créés des corps de gendarmerie mobiles, dont la mission spécifique est le maintien de l’ordre. Ce dispositif est complété en 1926 par la structuration de ces corps en Garde Républicaines mobiles.
Ces changements sont marqués par une professionnalisation du maintien de l’ordre qui vise à en réduire le niveau de violence. C’est pourquoi dans un premier temps, les gendarmes mobiles ne sont pas armés. La gendarmerie prend acte de ces mutations. Ainsi « particulièrement exposée aux grèves, la compagnie du Nord avait théorisé l’obligation de graduer la violence et de laisser une porte de sortie aux manifestants ».
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le dispositif étatique de maintien de l’ordre tel qu’on le connait maintenant est complété. Le 8 décembre 1944 sont créées les CRS ou Compagnies Républicaines de Sécurité (70 compagnies). Celles-ci regroupent les GMR (groupe mobiles de réserves) crées sous Vichy et (superficiellement épurés), ainsi que des résistants pour la plupart d’obédience gaulliste. On voit au passage que le slogan inventé lors des grèves des mineurs du nord en 1947 et repris en 1968 « CRS=SS » n’est pas tant exagéré que cela puisque les CRS sont créés à partir de la police de Vichy, chapeautée par des gaullistes.
Le maintien de l’ordre moderne
Le maintien de l’ordre en France constitue une force spécifique au sein des institutions chargées de préserver et de faire respecter le monopole « légitime » de la violence de l’Etat. Sa cible principale sera les rassemblements de personnes sur la voie publique, c’est-à-dire les grandes réunions de personnes qui peuvent troubler « l’ordre public », notion très vague qui peut vouloir dire tout et son contraire.
Le maintien de l’ordre se caractérise par une conception spécifique de l’ennemi. Celui-ci n’est pas considéré comme un combattant, mais comme un civil, à disperser ou à réduire. La principale limite du niveau de violence est le décès d’un manifestant. Ainsi lors des événements de mai 68, le préfet de Paris, Maurice Grimaud, sera félicité par les pouvoirs pour avoir évité le décès de manifestants, ce qui aurait pu augmenter de manière drastique la conflictualité des affrontements (en fait il y en a eu plusieurs mais la police a pu étouffer les décès…).
L’organisation des unités de maintien de l’ordre, leur déploiement, leurs tenues de protection vont être conçues dans cette perspective. De même, l’évolution de l’équipement suit cette direction : usage de la matraque, utilisation des gaz lacrymogènes afin de mettre à distance. Le maintien de l’ordre est donc un continuum d’exercice de la violence d’état qui se caractérise par son objet spécifique, la foule et par le fait qu’il tente de limiter les morts qu’il provoque.
A l’intérieur de ce continuum, des gradations peuvent se faire, vers une désescalade de la violence, ou au contraire un durcissement policier. Au cours des années 80 et 90, selon Olivier Fillieule, en Europe, à l’exception notable de la Grande Bretagne, la tendance est à la pacification et à la désescalade. A partir des années 2000, c’est au contraire un durcissement qui est observable.
Les mobilisations altermondialistes ont été le prétexte d’introduction de moyens de fichage, et de quadrillage inédits, ainsi que de collaboration à l’échelle européenne de forces de police. Cela se manifeste par des contrôles aux frontières permettant d’empêcher des militants d’accéder aux lieux de manifestation, le blocage de zones urbaines entières comme par exemple au contre-sommet de l’OTAN de Strasbourg où l’autoroute menant à la ville et de larges portions de l’espace urbain sont bloqués par les forces de l’ordre.
En France, il est possible d’observer un durcissement similaire. Mathieu Rigouste trace un parallèle entre les méthodes de la guerre contre-insurrectionnelle mises en œuvre au cours des guerres de décolonisation et les récentes mutations du maintien de l’ordre dans les Zones Urbaines Sensibles (ZUS). Les populations sont alors perçues comme susceptibles d’héberger un ennemi intérieur, et traitées comme telles.
Ce changement va aussi se traduire par l’introduction d’armes de maintien de l’ordre toujours dites « non-létales », mais beaucoup plus dévastatrices pour les cibles, comme le flashball ou diverses grenades assourdissantes ou de désencerclement telles que celles responsable du décès de Rémi Fraisse le 25 octobre 2014 à la ZAD du Testet.