Angleterre : La révolte des “indignés” de Tottenham se répand comme une trainée de poudre

Depuis le samedi 5 août 2011, des émeutes font rage, d’abord à Tottenham, puis dans tout Londres, et enfin dans plusieurs villes anglaises. A l’heure de la crise, que signifient ces émeutes, qui ressemblent de plus en plus aux émeutes qu’a connu la France en 2005 ?

Tout d’abord, revenons sur les faits. Tout a commencé avec la mort par balle de Mark Duggan, tué par les forces de « l’ordre ». Le samedi 5 août a  lieu une marche pacifique devant le commissariat de Tottenham. A la fin de celle-ci, des centaines d’individus attaquent le commissariat. S’ensuit une nuit d’émeutes. Le lendemain, les émeutes se répandent dans plusieurs quartiers de Londres. Lundi 9 août, en plus de Londres, les émeutes gagnent Liverpool, Bristol et Birmingham. Les émeutiers affrontent les policiers avec pierres et cocktails Molotov, incendient des bâtiments et surtout des véhicules de police. De nombreux cas de pillages de biens de consommation (électronique, chaussures…) sont constatés.

L’énoncé des faits laisse ouvert un grand nombre de questions : Pourquoi ces émeutes ? Pourquoi se sont-elles répandues ? Et surtout, quelles sont les motivations des émeutiers ? De la part des médias, on n’entend que deux discours, l’un dominant, l’autre plus marginal.

Le premier discours, porté par la plupart des médias consiste à nier tout caractère politique aux émeutes et aux raisons pour lesquelles des gens y participent. Ainsi, les émeutiers sont des casseurs, ils aiment le désordre et le vandalisme. Les médias anglais mettent en avant le frisson jouissif des émeutiers qui pillent et incendient dans la joie. Les émeutiers, par « amour de la casse », commettent leurs actes en bande. Bien évidemment, ces marginaux déviants sont opposés aux honnêtes gens qui travaillent. Cette interprétation est tout simplement erronée. Les attaques contre les forces de l’ordre sont ciblées et rationnelles dans l’esprit des émeutiers. De plus, le fait de s’attaquer à des biens de consommation peut tout simplement vouloir dire que les émeutiers n’ont pas d’habitude accès à ceux-ci car ils sont trop chers.  Enfin, si les émeutiers étaient seulement des casseurs ultra violents et hédonistes il serait peu probable qu’ils prennent de gros risques physiques (blessures) et judiciaires (prison) en affrontant la police. Cette explication a pour les dominants  l’avantage de dépolitiser les révoltes émeutières ainsi que  de désigner facilement un ennemi intérieur.

La deuxième explication, que l’on trouve dans les commentaires Internet de nombreux sites généralistes et dans la « fachosphère » est empreinte de l’esprit de Srebrenica (massacre en 1994 de 14 000 musulmans par des extrémistes serbes anti-islam). Dans cette vision des choses, les émeutes sont le fait d’immigrés, le plus souvent d’origine islamique, qui rejettent l’occident et ses « valeurs démocratiques ». Bien évidemment, la solution, pour ces tenants du nouvel antisémitisme qu’est l’islamophobie est de se débarrasser des trouble-fêtes de préférence par des expulsions (ou pire…).

Cette vision, encore plus idéologique que la première, relève du fantasme. En effet, la plupart des arrêtés dans des grands cycles d’émeute (Los Angeles 1992, France 2005) n’étaient pas musulmans ou noirs, mais blancs et chrétiens (respectivement 60 et 68 % des arrestations).

De plus, cette analyse ne prend pas du tout en compte les dimensions socio-économiques de ces événements : ce sont toujours les quartiers où le taux de chômage et la précarité sont les plus élevés qui connaissent les émeutes.

Si les deux explications dominantes des émeutes de Londres sont fausses, quelles sont les réelles motivations des émeutiers ?

En l’absence de communiqué de presse ou d’expression collective de ceux-ci, on ne peut que se baser sur les conditions d’émergence des émeutes et sur les actes qui y sont commis.

Depuis trente ans, la plupart des émeutes sont dirigées contre la police après la mort injuste d’un jeune ou de violences policières particulièrement brutales. Si l’on considère les conditions de vie qui constituent le quotidien des jeunes (d’origine immigrée ou pas) des quartiers ouvriers, les émeutes sont bien moins surprenantes et bien plus légitimes. En Angleterre, elles ont lieu dans des quartiers où les jeunes sont pauvres et précaires, ce qui explique les pillages : ils n’ont pas de quoi se payer ces biens. En effet, la répression et l’encadrement policier sont les outils utilisés pour discipliner les jeunes ouvriers précaires et indociles auparavant  contrôlés par l’école et l’usine.

Dans cette perspective, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que lorsqu’un jeune est assassiné par la police, d’autres y répondent pas la violence ? De même, qu’y a-t-il d’étonnant ou de choquant à ce que ces mêmes jeunes, au cours d’une action collective, prennent dans des magasins où ils ont souvent travaillé des biens que la précarité leur interdit ? Ces émeutes sont un mouvement politique de la jeunesse la plus précaire contre des conditions injustes : précarité, arbitraire policier, relégation. Au final, à part l’usage de la violence, cette révolte n’est pas si loin de celle de tous ceux qui se révoltent contre leurs conditions de vie de façon pacifique et institué du « mouvement social» aux indignés. Il n’est pas sûr que ce soit les émeutiers qui aient tort quant à leurs moyens d’action. A méditer.

5 comments

  1. “Avec le déclin du rôle historique des classes, la critique de la société capitalisée ne peut plus trouver l’essentiel de ses références dans les théories et les pratiques du mouvement prolétarien comme elle l’a fait depuis le début du xixe siècle jusque dans les années 70 du xxe siècle.” Temps critiques

    L’article en question (cité par jo) est de 2006, et j’aimerais bien un résumé. En fait tout le machin de Temps Critiques est sous-tendu par l’hypothèse citée supra : ” Le déclin historique du rôle des classes”, vu que Temps critiques ne comprend pas les classes et la lutte des classes. Temps critiques est déboussolé par la lutte de classes, il lui faut “un rôle” et tout changement de configuration, par exemple dans la crise actuelle et à partir de la restructuration des année 80 est pensé, ou du moins envisagé comme “un déclin (forcément historique, etc…). Un des gros souci de Temps critiques est de se prendre au mot sur ce “déclin”, qui n’existe pas. La lutte de classe ne croit pas ni ne décline, elle se transforme, c’est ce qui fait problème à Temps critiques qui aime bien “le rôle” et toutes ces vieilleries.
    Il n’est pas question de “classe contre classe”, ni d’anti-capitalisme, les émeutes en G.B. s’inscrivent dans la phase actuelle de la crise de reproduction des classes : il s’agit certainement de l’impossibilité et de l’irrecevabilité (délégitimisation) de toute revendication. Le groupe Grec Blaumachen a son idée à ce sujet : The transitional phase of the crisis : The era of riots. ( voir sur DNDF)

  2. “Srebrenica (massacre en 1994 de 14 000 musulmans par des extrémistes serbes anti-islam”

    Non, en fait c’était plutôt 7000 morts. Les chiffres avaient été gonflé pour justifier l’intervention de l’OTAN si je me souviens bien.

  3. dites-moi les gars, si je comprends bien votre site, la révolution, ça serait du travail non rémunéré?

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