Un envoyé spécial de Tantquil s’est rendu le 29 novembre à la manifestation contre le Congrès du Front National à Lyon. Celle-ci, bien que démarrée sous de bonnes auspices, a très rapidement été la cible des « forces de l’ordre » qui l’ont dispersée en un peu plus de 20 minutes, grâce à toute une série de dispositifs de contrôle des foules…
Après avoir couru comme un dératé pour échapper aux coups de matraque et aspiré copieusement des gaz lacrymogènes, notre envoyé spécial est revenu avec une analyse du dispositif policier et de comment celui-ci a pu disperser aussi rapidement la manifestation.
On ne fera pas de récit intégral de la manifestation, ce qui serait fastidieux, et surtout cela a déjà été bien fait sur d’autres sites :
Rebellyon : http://rebellyon.info/Recit-s-d-une-manifestation-offensive-et-de-sa-repression-a-Lyon.html
La Horde: http://lahorde.samizdat.net/2014/11/30/lyon-compte-rendu-de-la-manif-antifasciste/
Pour faire court, après quelque bris de vitrine et la mise à terre d’un agent des Renseignements Généraux, la police intervient très fort et en moins de 20 minutes, avec la complicité de la CONEX et du CV 69 (pour ceux qui ne connaissent pas, c’est l’antifascisme républicain, regroupant divers syndicats et organisations politiques, principalement liées au Front de Gauche), c’est plié, la manifestation est dispersée, et plus de 200 manifestants sont encerclés dans une nasse sur le pont de la Guillotière.
Pour reprendre les analyses développées dans le panorama du maintien de l’ordre, le dispositif utilisé lors de cette manifestation était un savant mélange entre des éléments des modèles français et allemand du maintien de l’ordre qui s’est montré redoutablement efficace contre les manifestants.
Tout d’abord, la police a mis en place un dispositif « préventif » destiné à mettre la pression aux manifestants et à décourager un maximum de monde de venir. Concrètement, la moitié des lignes de bus de Lyon ont été arrêtées le temps de la manifestation, alors qu’était fermée la station de métro Jean Macé où se réunissait la manifestation, ainsi que la sortie d’autoroute du centre-ville de Lyon. Par ailleurs, de nombreux bus ont été contrôlés au payage autoroutier de Villefranche, notamment celui des antifascistes parisiens. Un bus allemand a même été retenu et empêché de manifester.
Le dispositif préventif ne s’est pas arrêté là. La place Jean Macé ou se réunissait la manifestation a été intégralement bouclée par des checkpoints, et la police contrôle l’identité de tous les manifestants. Certains se font même confisquer leurs drapeaux, jugés comme pouvant servir d’arme par des policiers zélés. Par ailleurs, une demi compagnie de CRS est déployée à chaque intersection sur le parcours de la manifestation.
1. Après que les affrontements aient éclaté en queue du dernier cortège (le cortège libertaire), la manifestation est victime d’une série de manœuvres policières qui mènent très rapidement à sa dissolution. En voici les étapes. Alors que les SO de l’AL, de la CNT, du NPA et de Solidaires protègent la queue de cortège face à plusieurs demi-compagnies de CRS qui mettent la pression et tirent des grenades lacrymogènes, la tête de manifestation gérée par la CONEX-CV69 accélère sur ordre de la police. Cela a pour effet de créer un effet de panique et la manifestation s’étire jusqu’à être de moins en moins dense. Une grande partie des « radicaux » abandonne le SO qui est séparé du reste des manifestants de plusieurs centaines de mètres.
2. Aux abords du Pont de la Guillotière, grâce à des jets de grenade lacrymogène et deux charges de CRS, la manifestation est séparée du service d’ordre. Les manifestants passent le pont dans le désordre.
3.La police laisse le SO s’engager sur le pont pour rejoindre les manifestants. Dès qu’il est suffisamment engagé, la police bloque les deux extrémités du pont, refermant la nasse dont les 200 personnes enfermées ne ressortiront que deux heures plus tard et sous haute surveillance policière. En allemand, cette manœuvre s’appelle un kessel.
4. Une fois que la queue de manifestation n’a plus de lignes de protection, les Compagnie départementales d’intervention du Rhône poursuivent et gazent copieusement la queue de cortège qui se lancent dans une fuite éperdue alors que la police arrête plusieurs personnes. Arrivés au niveau de la Passerelle du Collège, la CONEX dissout la tête de cortège alors qu’une partie des manifestant se dirige en centre ville, poursuivie par la police. C’est la fin de la manifestation, moins de 30 minutes après le début des affrontements.
On notera que même si le dispositif policier est en large mesure inspiré du maintien de l’ordre allemand, sa réussite est grandement facilitée grâce à la collaboration active du cortège de la CONEX-CV 69. Celui-ci accélère lorsque la police lui demande, le carré de tête courant presque. Cela permet d’étirer la manifestation et de faciliter l’encerclement du service d’ordre. C’est ce que l’on appelle la coproduction de l’ordre public : ce sont les manifestants « démocratiques » et « légitimes » qui aident la police contre les « casseurs violents ». Cette coproduction est une grande victoire pour la police car elle permet d’effectuer un clivage non pas entre police et manifestants, mais entre les manifestants eux-mêmes, une partie (souvent social-démocrate) travaillant activement avec la police contre le reste de la manifestation.
Heureusement, à ce tableau plutôt peu reluisant pour les manifestants, s’ajoute une note positive : un échec pour la police française. Normalement, celle-ci fait un usage extensif de la BAC et de policiers en civil pour faire des interpellations ciblées. A Lyon, cette stratégie ne fonctionne pas. Lorsqu’en début de manifestation une vitrine est taguée, des policiers des RG s’avancent avec un talkie-walkie sur le côté du cortège. Ils se font jeter dessus divers objets avant de se prendre un gros pétard (ou une bombe agricole, dur à dire). Le RG est soufflé par l’explosion, et dans la foulée, il se prend un coup de marteau à terre (pas très fair play, mais bon, ce n’est pas comme si les flics l’étaient…) et le deuxième policier est pris à partie. Un peu plus tard, plusieurs policiers de la BAC tentent de pénétrer dans le cortège. Ils sont très vite encerclés et roués de coups. A la louche, il semblerait que plus de la moitié des 11 flics annoncés comme blessés soient des policiers en civil de la BAC ou des RG…
Pour conclure, on pourra dire que le modèle de maintien de l’ordre adopté à Lyon par la police a été monstrueusement efficace. L’importation d’éléments issus du maintien de l’ordre allemand, couplé aux « bonnes vieilles méthodes » françaises aura permis à la police de disperser très rapidement une manifestation d’environ 3000 personnes dont plusieurs centaines étaient prêtes à en découdre… Un seul élément positif, l’échec des policiers en civils. Pour le futur, alors que le maintien de l’ordre se durcit, tirons les conséquences de ce fiasco, et assurons notre autodéfense face à la police…