Islande: une “révolution citoyenne” qui fait pschitt

La mode s’est un peu calmée, mais dans les milieux proches du Front de Gauche, chez les “antilibéraux” divers et variés, on a beaucoup parlé de l’Islande en tout cas sur internet.

Pour ce petit monde en quête d’états forts qui résistent à la finance, la petite île a prise un temps des allures de nouveau modèle. L’Islande, portée par un immense élan populaire,  aurait refusé de payer ses dettes. Elle serait en train de reconstruire une démocratie plus humaine, basée sur une constitution rédigée par des braves gens sélectionnés via un processus de démocratie directe, etc.

Et puis surtout, la raison profonde censée prouver que l’Islande est en pleine révolution ( lire rêve-olution, bien sûr, on est chez les poètes) c’est que les médias n’en parlent  JA-MAIS. Le souci, avec cette jolie histoire citoyenne, c’est que c’est du pipeau. Détaillons

Afin de comprendre les tenants et les aboutissants, mieux vaut avoir une idée de la situation islandaise en général, et de l’activité économique et financière de ces dernières années en particulier.

(Si ça vous gonfle, ou que vous connaissez déjà, passez direct à la deuxième partie, qui commence par “en 2008, la crise financière arrive…”)

L’Islande est une île de l’océan Atlantique Nord d’une population d’environ 320 000 habitants. Sa capitale, et plus grande ville, est Reykjavik.

Bien qu’associé économiquement à l’Europe, et faisant partie de l’espace Schengen, le pays n’est pas membre de l’UE, encore moins de la zone euro. Il possède sa propre monnaie, la couronne islandaise.

En plus de la manne touristique, le pays exporte du poisson, et de l’aluminium, dont la transformation constitue la principale industrie du pays.

En plus de cette (petite ) économie locale, on trouve un important secteur bancaire: au cours des années 2000, les banques islandaise déploient une importante activité financière internationale. Une croissance sans précédent avec un volume passant de 100% du PIB à plus de 1000% en 2003. Elles empruntent aux autres banques (à l’international) pour spéculer sur les marchés, de manière extrêmement massive. (Selon un rapport du FMI de l’époque, ” l’Islande fonctionnait intrinsèquement comme un fonds spéculatif, empruntant à l’étranger pour acquérir des avoirs extérieurs”) .

Le crédit intérieur est aussi fortement encouragé, et beaucoup d’islandais empruntent, en particulier pour acheter leurs maisons (ils sont proprio a 80%). En 2007, les ménages islandais sont endettés à près de 250% de leurs revenus (contre par exemple près de 85% en France en 2012).

Cette augmentation importante de la masse monétaire participe à provoquer une forte inflation .

→ [ Un petit paragraphe pour expliquer la création monétaire en quelques mots ci dessous: ]

Les dettes sont comptabilisées comme de la monnaie, car elles correspondent à une création monétaire des banques.  Celles-ci nous prêtent de l’argent qu’elles créent, dans les limites d’un pourcentage de leur réserve obligatoire auprès de la Banque Centrale. Par exemple, disons que le taux de “réserves obligatoires” est de 2% pour la zone euro : cela veut dire que les banques de la zone doivent déposer sur un compte qu’elle possèdent auprès de la Banque Centrale Européenne au moins 2% de la somme totale de leurs prêts. Si elles prêtent 100 milliards, elles doivent en avoir 2 dans leurs réserves. Cela dit, si elles prêtent 100 milliards, elles auront ajouté  ces 100 milliards à la masse monétaire totale de la zone euro.  (Mais on écrira prochainement un article et une petite BD pour mieux comprendre ce truc un peu compliqué)

La banque centrale islandaise répond à cette inflation d’une manière classique : elle augmente fortement ses taux d’intérêts directeurs, pour tenter de restreindre la création monétaire. Le montant des taux d’intérêts islandais est porté à 15,5 %.

Cela veut dire que les banques islandaises empruntent à ce taux auprès de leur banque centrale et doivent répercuter cette hausse sur les taux qu’ils demandent à leurs clients, ce qui a pour effet de peser sur les crédits.

On appelle ça une politique de l’argent cher, car emprunter de l’argent coûte cher. Le souci de cette politique à l’heure de la mondialisation des échanges, c’est qu’elle rend la monnaie d’un pays (surtout à la marge de manœuvre limitée comme l’Islande) attractive pour la spéculation internationale.

En résumé, cela consiste pour les traders à une démarche en deux temps:

  1. Emprunter de l’argent dans une devise à faible taux d’intérêts (comme le yen japonais  dont le taux d’intérêt oscille autour de 0%)
  2. Utiliser cet argent pour acheter les devises d’un pays à fort taux d’intérêts.

Il n’y a plus qu’à engranger… ( Pour ceux que ça intéressent, cette technique s’appelle le carry trade)

Dans les années 2000, la monnaie islandaise est donc énormément utilisée par les traders. Elle monte, monte…  En 2007, selon le magazine the economist, la couronne islandaise serait même la monnaie la plus surévaluée au monde!

En 2008, la crise financière arrive. Panique à bord.

C’est l’effondrement brutal. Les banques islandaises ne trouvent plus à emprunter sur le marché interbancaire (un marché où les banques se prêtent quotidiennement du pognon, à des taux très faibles), et s’effondrent. La banque centrale islandaise n’a pas les moyens de couvrir les banques : elles sont trop endettées, l’activité financière est tout simplement sans commune mesure avec l’économie islandaise! Les banques sont nationalisées, et la question se pose d’indemniser les épargnants.

Cela se pose tout particulièrement pour l’affaire de la banque Icesave. Une part très importante des détenteurs de compte dans cette banque ne sont pas Islandais. Faut-il les indemniser, quitte à s’endetter encore plus?  Non, répondent par référendum les islandais…

Voilà ce qui excite à ce point nos sociaux démocrates radicalisés: “l’État modèle” Islandais a refusé de garantir les dépôts des non-islandais qui possédaient un compte à la banque Icesave. Les dépôts ont été garantis (et remboursés) par Londres et La Haye à leurs épargnants, qui les avait perdus, du fait de la faillite de cette banque privée. Il s’agissait d’une somme assez importante, de 3,9 milliards d’euros.

Mais cela n’a rien à voir avec le fait de refuser de rembourser la dette publique! Et les islandais qui sont massivement sortis dans la rue, se sont mobilisés pour refuser de payer? Eh bien leurs colère a été détournée contre les seuls épargnants (capitalistes) de Icesave , et le vague espoir de condamner en justice leur ex-premier ministre…

 Pendant ce temps là, l’Islande est encore endettée, et elle continue à payer ses dettes. Chez les journalistes politicards qui montent ça en épingle, il y a en fait confusion entre la dette publique islandaise (qui atteint les 100% du PIB contre 22% en 2007)  et que l’Etat rembourse rubis sur ongles, et cette fameuse affaire Icesave.

Pour rembourser sa dette publique, le gouvernement islandais a fait comme les autres: Reykjavik a demandé et obtenu un prêt de 2,25 milliards d’euros au Fonds monétaire international (FMI). En échange, le gouvernement a imposé une série de mesures d’austérité équivalentes à 10% du PIB du pays.

Résumons: l’Islande paie sa dette publique, pratique l’austérité, mais ( courage suprême)  a refusé le paiement du à une faillite bancaire.

Par ailleurs, la monnaie islandaise s’est effondrée, le pays connaissant une importante inflation (jusqu’à 18%), ce qui constitue une baisse nette des salaires réels.

Cela a contribué à étrangler encore plus les prolétaires islandais d’autant que nombres d’entre eux avaient contractés des prêts immobiliers avant 2008, prêts indexés sur l’inflation… Qui ont donc vu leurs taux d’intérêts exploser entre 2008 et 2012!

Aujourd’hui, le taux d’endettement des ménages est de 225%. Pour pouvoir le rembourser, les Islandais ont été autorisés (merci l’État-sympa) à puiser dans leurs retraites complémentaires : tant pis pour les économies…

Terminons sur cette histoire de “constitution citoyenne“, censée être l’aboutissement de la mobilisation populaire:

Elle n’a tout simplement pas attiré les foules : la participation aux élections qui devait élire l’assemblée constitutionnelle n’a  finalement été que de… 36%.

De plus, le 25 janvier 2011, la Cour suprême a invalidé ces résultats de l’élection de l’Assemblée constitutionnelle. Finalement, ils ont dû être “désignées” par le Parlement. Voilà pour leur fameuse “démocratie nouvelle”…

La composition de cette assemblée , censée être “à l’image du peuple” parle d’elle-même:

– 5 profs d’Université,
– 4 journalistes et présentateurs télé,
– 3 médecins,
– 2 mathématiciens,
– 2 directeurs de musée,
– 1 manager,
– 1 pasteur,
– 1 directeur de théâtre,

– 1 chef d’entreprise,
– 1 président de syndicat,
– 1 juriste,
– 1 porte-parole d’association de consommateurs
– 1 fermier
– 1 étudiant.

Et que dire de la “e-participation” tant vantée par les démocrates : même en comptant tous les réseaux sociaux, le débat n’a suscité que 3 600 commentaires et 370 propositions, soit respectivement 1,1 % et 0,12 % de la population de l’île (si on part du principe de 1 commentaire et une propositions par personne)! Tout ce flan pour ça…

Bref, pas de pays modèles, ni de solutions nationales.

Bien sûr, à y regarder de près, on a l’impression que les islandais se sont particulièrement fait avoir. Mais c’est hélas le cas des prolos du monde entier. Et les politiciens locaux peuvent toujours agiter le chiffon rouge, parler de la souveraineté nationale, et cetera et cetera: c’est la même blague, et le même résultat.

La crise de la dette, porte en elle le risque de l’effondrement possible des capitaux mis en banque, et donc du système bancaire. On ne parle pas de 3 ou 4 milliards, mais de millier. Le capital peut laisser passer un défaut de quelques milliards, ( s’il n’ a pas le choix, et il en grattera le plus possible) comme le montre aussi le défaut partiel uruguayen dont nous reparlerons dans un autre article de cette rubrique.

Mais pas l’effondrement des banques. Pas la déstabilisation massive des principales devises (Euro, Dollars). Là, on touche au cœur même du système. Et c’est pas un gouvernement de socs-dems qui y fera quelque chose!

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