Après le miracle espagnol, le miracle polonais…

Depuis le début de la crise, la Pologne est présentée comme l’un des pays qui s’en sort le mieux en Europe. Comparativement à pas mal de ses voisins, elle n’a pas encore trop souffert de l’austérité en cours. Il est vrai que des moyens très importants sont mis en œuvre par l’Union Européenne (UE), qui voit dans le pays le futur « gros » d’Europe de l’Est et donc pas mal de marchés juteux en perspective.

Alors que la majorité catholique et conservatrice perd de sa crédibilité face à une nouvelle droite plus libérale,( c’est vous dire l’ambiance) la Pologne est l’un des derniers coins d’Europe à avoir mis en place des mesures d’austérité.

Mais, comme on va le voir, la situation n’a rien de paradisiaque.

Hors de la zone euro, et pour l’instant hésitante à y rentrer,  la Pologne pratique ces derniers temps par le biais de sa Banque Centrale une politique de relative baisse des taux d’intérêts (ceux ci ont baissé de 4,6% à 3,2% en quelques mois). Il s’agit de tenter de pousser à une relance des investissements. En gros, ils suivent  l’idée que si les intérêts sont bas il y a plus de bénéfice à s’endetter pour investir. Tout le monde fait ça en ce moment… Y a qu’à voir comment ça marche trop bien. Son économie est dopée par l’absence de salaire minimum, de cotisations retraite, et d’assurance maladie pour les prolos. 

Le « miracle polonais » ou pourquoi la Pologne ne coule pas aussi vite que les autres.

La Pologne semble faire office de « bon élève » de l’UE. C’est le seul pays d’Europe à ne pas avoir connu de récession en 2009, malgré un sacré ralentissement de l’économie. En résulte une politique d’austérité plus “modérée”.

Pour comprendre ce “miracle”, il faut revenir en arrière : il y a huit ans, la Pologne entrait dans l’UE avec un solde migratoire très négatif et surtout un salaire de base très faible…

rahanmiracle

En somme on avait :

– Plein de prolos qui quittent le pays, peu qui entrent

– Ceux qui restent qui coûtent pas chers à employer.

Dans ce contexte, entre les investissements venus de l’étranger et ceux des capitalistes locaux, l’économie se développe… et le chômage baisse, passant de près de 20% à 7%. Bon, maintenant il est remonté à 12,9%. Sachant qu’il ne peut être perçu que pendant 6 à 12 mois (entre 100 et 200 € environ).


L’Europe met le paquet

Cette année encore, c’est le pays le plus aidé de l’Union pour le développement de ses infrastructures. Les aides s’élèvent à 67 milliards d’euros, 82 en tout avec les aides « normales » de l’UE.

Si l’on rajoute tous les sous apportés par l’organisation de l’Euro 2012 (ce genre de rassemblements sportifs servent avant tout à développer les infrastructures de marchés potentiels), on comprend que la Pologne est un sacré enjeu économique pour l’Europe.

Avec cet argent, l’Etat a augmenté l’aide publique aux entreprises, cachant provisoirement qu’en fait, depuis la crise, les investissements étrangers se tarissent.

Ce que ça veut dire en clair, c’est que la Pologne est à la merci de la crise : elle vit complètement sous perfusion. Et quand c’est l’UE qui tient la perf, y a de quoi s’inquiéter, demandez aux autres pays “aidés”.

Ce “succès” s’explique aussi par une précarité généralisée.
Si aujourd’hui les polonais ont un faible taux de chômage, c’est surtout dû à la multiplication des statuts précaires.
Ainsi, on estime qu’avec la Slovénie et la Pologne est la championne du travail temporaire chez les jeunes prolétaires, puisque plus de 60% des salariés de moins de 25 ans travaillent sous ce type de contrat. Et ça n’est pas parti pour s’arranger :
depuis 2009, les patrons polonais n’ont plus de limitations dans le nombre de CDD : il suffit d’en faire un nouveau tous les 24 mois. Elle est pas belle la vie ?

Mais les jeunes prolos Polonais sont aussi très touchés par le chômage : les 18 à 34 ans représentent plus de la moitié des chômeurs déclarés, et le taux de chômage de leur tranche d’âge est deux fois plus élevé que la moyenne nationale de 11,7% (données de juillet 2011).

Du côté des salaires, ils restent très faibles (les Polonais gagnent en moyenne 1/5 du salaire de leur modèle économique : l’Allemagne de Merkel) et il y a une véritable crise du logement dans ce pays. Et les salaires ont augmenté moins vite que l’inflation ( y a que dans la bouche des capitalistes que ça veut dire qu’ils ont augmenté, de fait)

Le « miracle polonais » est surtout une bombe à retardement

La Pologne rattrape donc son retard économique. Dans la dette aussi. Jusqu’ici c’était l’un des pays les moins endettés du fait de la très faible dette privée. Il faut dire qu’ils partent de loin, les polonais, avec un marché intérieur assez faible : forcément, les ménages se sont pas endettés des masses, quand ils ont pas tous simplement mis les bouts. Ya qu’à voir tous les Polonais qui travaillent dans les tâches les plus difficiles (manutention, chauffeurs, BTP…) un peu partout en Europe pour s’en convaincre. Le pays ne connait pas une forte immigration, au contraire c’est surtout l’émigration des prolétaires polonais un peu partout en Europe qui pose problème : travailler en Pologne reste compliqué. Ainsi dans ce pays où les groupuscules nazis pullulent* (* il y a notamment eu en novembre de très gros affrontements entre nazis, flics et antifascistes ), les autorités ont annoncé décembre 2011 une régularisation des sans-papiers du pays, qui sont en général Biélorusses, Ukrainiens…ou Vietnamiens.

Le déficit budgétaire annuel du pays, c’est à dire la différence entre les recettes et les dépenses de l’état est bien loin des exigences de -3% maximum de l’Europe. Le déficit était de -7,8% en 2010, -5,1% en 2011. Depuis 2012 le seuil de 55% du PIB de l’endettement public a été atteint. C’est à dire que les dettes de l’État correspondent à 55% de toute la richesse créée dans le pays durant un an, mesuré par le PIB. C’est beaucoup, cela équivaut à plusieurs années de budget de l’État, qui n’oublions pas, ne taxe qu’une partie des richesses du pays.

On est encore bien loin de la moyenne européenne (82,5 % en 2011), mais c’est ce qui a servi à justifier les premières mesures d’austérité.

De son côté, la croissance est en baisse cette année (elle est à 1,4% ce trimestre, contre 4,3 l’an dernier), et les mauvaises nouvelles se multiplient dans l’emploi avec notamment FIAT et quelques grosses boîtes qui « dégraissent ». Mais le principal secteur qui débloque en ce moment, et qui pourrait faire des dégâts dans le système bancaire, c’est la construction.

Enfin, l’augmentation du chômage, plus l’inflation supérieure aux salaires ne promet rien de bon. Par ailleurs, l’augmentation de la TVA à 23% n’arrange rien. Les crédits à la consommation ont explosé, et le taux de « créances douteuses » dans ce secteur est passé de 6,6 à 18,3 % fin 2011.

tina

Les mesures « anti-crise » depuis 2009 : l’Etat se prépare au conflit social.

Sous prétexte de sentir un tassement à venir de l’économie, ont été mises en place des mesures permettant plus de « flexibilité », avec en 2009 un élargissement de la période de référence de 4 à 12 mois. Pendant cette période, les patrons peuvent compenser des journées de travail courtes et longues : le prolo s’adaptera. Les horaires peuvent changer d’une semaine sur l’autre, et le travail peut « reprendre » après un arrêt dans la même journée sans que les heures soient revalorisées comme supplémentaires.

Les horaires aussi peuvent changer d’une semaine sur l’autre, et le travail peut « reprendre » après un arrêt dans la même journée sans que les heures soient revalorisées comme supplémentaires : bref, le calendrier polonais du travail, c’est un peu comme celui des jobs d’été en France.

La principale « réforme » a été celle des retraites, qui place de départ à l’âge de 67 ans à l’horizon 2020. Cette mesure, la plus impopulaire de l’histoire des sondages en Pologne (7% favorables !), laisse présager des conflits sociaux importants dans les années à venir. Le gouvernement s’y prépare déjà : il a mis en place des restrictions du droit de rassemblement.

Face à la montée de la dette publique, les pouvoirs publics ont aussi décidé de prendre les choses en main, en attaquant deux secteurs qui ne servaient à rien : l’éducation et la santé. Voici quelques mesures

  • Fermeture de 1500 écoles et dortoirs en 2011.

  • Suppression de 7500 emplois de professeurs l’an dernier, reconversion de nombreux postes en emplois précaires.

  • Projet de privatisation des hôpitaux (en cours d’étude)

  • Pénalisation des docteurs si leurs prescriptions sont jugées excessives

  • gel des salaires de l’ensemble de la fonction publique, à l’exception des agents de police et des services de sécurités spéciaux ainsi que de certains enseignants

Des mesures sociales…Pour les patrons

Le gouvernement a pris en compte que c’était dur d’être patron. Aussi, si l’entrepreneur polonais rencontre des difficultés économiques importantes (baisse de 25% du C.A. sur trois mois), il peut aller jusqu’à diviser par deux le nombre d’heures de travail, sans l’accord de ses employés, et bien entendu payer en conséquence

En plus de tout ça, le gouvernement continue sa politique de privatisation en cours depuis la fin du bloc de l’est. Ce qui lui permet de renflouer régulièrement ses caisses à hauteur des quelques milliards d’euros chaque année.

Les « alternatives » gestionnaires ».
Le ministre des Finances a déclaré que son gouvernement était dans la lignée de… Margaret Thatcher. D’autres groupes veulent aller bien plus loin. C’est le cas du principal
think tankde droite conservatrice polonaise, le FOR (* Forum Obywatelskiego Rozwoju ), qui propose tout bonnement d’accélérer les privatisations, stopper les dépenses dans l’enseignement, supprimer les aides maternité, réduire les aides aux chômeurs, supprimer les « avantages » des retraites des agriculteurs, avancer de 2040 à 2020 l’application de la retraite à 67 ans pour les femmes. En gros, des mesures d’austérité comme on les connaît dans l’Europe en crise . Une petite note spéciale pour la proposition de supprimer les aides pour les enterrements des plus pauvres, tout de même.

Du coup la droite conservatrice a organisé une manifestation très importante il y a quelques mois, couplant leur rejet de la retraite à 67 ans et le fait… qu’une télé catho n’ait pas accès direct au réseau hertzien !

Du côté de la gauche social-démocrate, le SLD, le « front de gauche » polonais, connaît comme ses confrères européens un « coup de boost » depuis la crise. Il est constitué notamment de l’ancien Parti Communiste polonais, dans un pays où les symboles communistes sont interdits depuis 2009. Savant mélange de revendications pour les libertés individuelles, les droits des femmes ( la Pologne est avec l’Irlande le dernier pays d’Europe qui refuse le droit à l’IVG) et des minorités, et ajoutant depuis 2009 des mots d’ordre « anti austérité », il oscille autour de 13%.

Réponses du prolétariat

En septembre 2011, une grande manifestation a été organisée à Varsovie, par…la CES. La CES, c’est la Confédération Européenne des Syndicats, dont font partie la CGT et la CFDT. Les délégués CGT lors de leur intégration en 2005, passaient presque pour des gauchistes. La Confédération s’était d’ailleurs, par exemple, positionnée pour le Traité Européen en 2005.

Quelques grèves de grande ampleur ont eu lieu en Pologne cette année. Dont une partie durant l’Euro de football.

« Le collectif “Du pain et non des Jeux” réunit environ 800 contestataires à Poznan. “Le noyau de notre comité est formé d’anarchistes et de socialistes mais regroupe aussi des travailleurs des secteurs du soin ou de la petite enfance et d’associations de locataires”, décrit Magdalena Malinowska, l’une des leaders du collectif. »

Idem durant un concert de Madonna. Les Polonais protestent contre les mesures d’austérités, les conditions de travail et les salaires bas à l’occasion de ces rassemblements de l’industrie du divertissement, qui cachent la misère et les conditions de vie difficile des prolétaires derrière un rideau d’abondance et de fête.

Enfin, pas mal de luttes sont menées sur la question du logement, notamment sur Poznan, suite à la multiplication des expulsions.

En fait, à chaque fois qu’on vous parle de miracle  en économie, le pays s’effondre. On avait parlé du miracle italien y a vingt ans, l’Italie est dans la merde, il y a dix ans c’était l’Espagne…

Alors que dire de nos bourgeois qui parlent aujourd’hui de « miracle polonais » ?
Ben qu’il n’y a rien de miraculeux, quand on voit le paquet de pognon investi par l’Europe ET la Russie dans l’économie polonaise…

Bref, niveau miracle, et multiplications des pains, ça rappelle un peu le Jésus 2 des inconnus…

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