Le maintien de l’ordre en Espagne

Contrairement à ce qu’on a vu avec la gestion française, les flics espagnols ont plutôt tendance à être des… excités. Dans l’article “ l’Espagne se grippe ” on vous avait déjà montré que les “ mossos d’esquadra ”  ne craignaient pas de  matraquer des étudiants plutôt mous, mais le 25 septembre 2012,  on a battu des records avec une intervention extrêmement violente sur le rassemblement à Madrid, qui avait pour but de bloquer “ pacifiquement ” le congrès. Le bilan a été de 35 arrêtés et 64 blessés.

Quels  types de flics ?
Tout d’abord, il y  a plusieurs corps de police. Les nationaux sont toujours les mêmes depuis Franco : les fameux “ guardia civiles ”. On a même laissé à certains d’entre eux le droit de porter un chapeau ridicule, le tricornio qui date de la période carliste, précisément du milieu XIXe, mais qu’ils abandonnent quand point une émeute : faut pas déconner quand même.

Le pape avec un tricorne de la guardia civil

Ensuite il y a les UIP qui sont un peu les CRS locaux ainsi que les antidisturbios. Il y a aussi la Ertzaintza (police basque) et les Mossos (police catalane), qui sont des polices régionales. Elles ne sont pas plus sympa, faut pas croire : la Ertzaintza en particulier, a des voitures blindées et s’est longtemps cagoulée par peur des retours de bâton de l’ETA. Il faut imaginer un peu dans quelle ambiance peuvent être ce genre de gars qui vivent séparément de la société, et travaillent dans l’anonymat. Alors forcément lorsqu’ils répriment  une manif indépendantiste ça  rigole pas : ils filment ostensiblement tout le monde et tabassent à tout-va ( ici une vidéo où on les voit filmer  ).
Quant aux “ mossos ”, ils se sont distingués le 14 novembre en défonçant un enfant de 13 ans en manif.

Gestion des manifestations :
Suite à une précarisation accrue, avec  la dégradation de la situation sociale due à la crise, les manifestations ont beaucoup changé. Elles ont connu des records de participation, et contrairement à ce qu’on peut voir en France, il y a souvent peu ou pas de cortèges, ce qui est en partie lié au développement des Indignés. On peut y retrouver des organisations en plein milieu de drapeaux syndicaux, et les services d’ordre ne sont pas directement gérés par les syndicats.

Rassurez-vous, ce n’est pas l’anarchie. Le mouvement se veut “ non-violent ”, mais il n’est pas rare qu’il soit “ anti-violent ” au point qu’il y ait, comme au Québec, des groupes de pacifistes zélés qui  livrent aux forces de l’ordre d’autres manifestants “ violents ”.
Au niveau vestimentaire, le flic espagnol rappelle un peu le flic grec. Rien à voir avec la France et ses playmobils : ici, les policiers sont très mobiles, et ont pour seule protection réelle un casque. Le modèle français, très efficace, consiste plus à repousser, user, séparer et disperser la manifestation.
Le policier espagnol, lui, ne se pose pas  de questions : il charge. Les charges sont assez impressionnantes, surtout parce qu’on sent que fondamentalement, le flic espagnol aime vraiment son métier. A vrai dire, il ferait ça gratuit sans problème. Il en résulte que les interpellations sont surtout là pour faire peur.  Les opérations contre les groupes organisés se font plutôt sur des interventions ciblées en marge de la manif : okupas (squat), locaux de supporters…

 


Les mots de la répression
L’autre volet de la répression, c’est sa justification, par voie de presse. Dans tout média qui se respecte on fait un découpage  entre “ bons ” et “ mauvais ” manifestants, définis par leur rapport à la violence. Par exemple, en France on parle de “ casseur ”. Le “casseur” s’en prend aux symboles de l’Etat, à la police et surtout aux biens publics.

Le terme le plus fréquent en Espagne est beaucoup plus politique que dans les exemples précédemment cités : on parle de “ radicales antisistema ”.
Ce terme a été utilisé pour les groupes d’extrême-droite, dans les années 80 puis pour les l’indépendantistes avec les Kale Borroka (“ lutte de rue ”). Ensuite le terme s’est élargi pour inclure autonomes, chômeurs, punks, mais aussi ouvriers en plein déclassement.
L’autre moment important dans l’histoire de “ l’antisystémité ”, c’est bien sûr les évènements de Gênes, Seattle, et leurs petits en Espagne, Barcelone en particulier. Si ce terme a eu de la concurrence dans les années 2000 (“ anarquistas ”, “ extremistas ”, “ desarraigados ”), il est aujourd’hui devenu le plus utilisé dans toute la presse. On peut penser que  la presse française a servi de modèle, le mot “ casseur ” étant plus ancien et plus connoté encore.

Le cas  de la répression basque : les illégalisations
En Euskal Herria, (Pays Basque) la répression qui a touché les indépendantistes et les autonomes depuis les années 80 est sans commune mesure en Europe. Assassinats politiques, tortures (200 cas répertoriés par an par Amnesty International dans les années 2000), “disparitions”, mais aussi interdiction de toutes les organisations “ abertzale ” (“ patriote de gauche ” ) : de Jarrai et Herri Batasuna dans les années 80, à Batasuna en 2003 (une orga de 70 000 membres quand même), mais aussi l’organisation de  jeunesse Segi, les groupes de “ lutte de rue ” (Kale Borroka) un quotidien basque, les associations d’aide aux prisonniers, enfin les associations internationalistes.

Evidemment, cette stratégie n’est pas tenable ad vitam aeternam : ça coûte très cher, aux uns comme aux autres. Elle a eu le “ mérite ” d’isoler le mouvement basque qui était quand même une sacrée lame de fond. Enfin, oui et non : selon le ministère de l’intérieur, une des élues  d’Amaiur au congrès, (Amaiur : organisation d’union très large montée en 2011 par les indépendantistes basques) aurait aidé les manifestants à passer à travers les cordons de flics depuis l’intérieur, le 25 septembre dernier.



Pour résumer, on peut dire que le maintien de l’ordre espagnol s’inscrit dans une certaine mesure dans la lignée du franquisme. Les polices sont innombrables, caractéristiques d’un régime autoritaire (pour qu’elles ne deviennent pas trop puissantes et ne prennent pas le pouvoir). La gestion des foules est basée sur la violence aveugle, plutôt que sur des dispositifs complexes de maintien de l’ordre. Enfin,  au Pays Basque, le maintien de l’ordre sort complètement de son cadre “ démocratique ” (tenter de plus ou moins respecter les droits de l’homme) pour utiliser des méthodes dans la continuité du franquisme.

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